Le Mandarin

Le Mandarin

Je vais vous raconter rapidement une petite histoire, qui devrait faire écho à de nombreux étudiants en médecine, ou même patients. Je pense qu'on est nombreux à avoir connu ce genre de visite dans un grand hôpital.

En 2eme et 3eme année des études médicales, on fait des petits passages de quelques jours dans les services hospitaliers en tant que stagiaire (c’est à dire aussi utile qu’un stagiaire de 3eme dans une centrale nucléaire). Mais c’est en 4ème année qu’on y devient un acteur indispensable des rouages des hôpitaux : on devient externe. Un externe c’est l’étudiant qui suit l’interne comme son ombre, parfois même jusqu’aux toilettes. C’est aussi lui qui trie le courrier, fait les ECG, fait le brancardier, appelle le médecin traitant pour récupérer le traitement, récupère la carte vitale oubliée aux urgences, etc. Le petit personnel, donc. Au passage, payé moins qu’un parcmètre à l’heure, mais ce n’est pas le sujet. Donc l’externe colle aux basques de son interne. Comptez souvent 2 ou 3 externes par interne. Et l’interne, c’est le docteur qui fait tourner le service, qui fait la visite le matin. La tournée des chambres. Bon, on dit “docteur” pour lui donner des responsabilités. Mais quand il faut le payer ou respecter le code du travail, ce n’est qu’un “stagiaire”. Faut pas déconner. D’ailleurs, au bout de 6 mois il se barre dans un autre service, et on peut lui invalider son stage s’il se rebelle un peu trop. Donc l’interne, c’est un employé souvent docile. Comptez 2 ou 3 internes par service, et à chacun son cheptel de patients. C'est-à-dire un bout du couloir. L’interne est en lien avec d’autres médecins du service, mais qui sont souvent soit pas là car de repos de garde, soit aux consultations, soit aux soins ambulatoires ou explorations fonctionnelles. Bref, si vous êtes hospitalisé dans un service, vous avez le droit à l’interne et son externe. Et l’infirmière. Mais en fait le “vrai” docteur dans un service, c’est le chef de service. Celui que les patients ne voient jamais. Une sorte de licorne pour les alités ou leur famille : tout le monde voudrait le voir, on en parle, il a même son nom sur les ordonnances, mais personne ne l’a jamais vu. J'exagère un peu, mais c’est ainsi dans de nombreux services. Je vais donc vous parler du vrai mandarin. Le vrai gros con de chef de service, celui qui m’a dégouté quand j’étais externe dès mon premier stage. 

Fort heureusement ce type de médecin est en voie de disparition, mais il en persiste encore un bon gros paquet. Je vais donc vous raconter ma première visite avec le chef. Parce que oui, une fois par semaine, sa seigneurie le chef de service daigne venir à “la grande visite”. C'est-à-dire la longue visite avec le chef, où il dispense son savoir aux internes et externes comme s’il s’agissait de pétales de roses. Bon, faut pas déconner, il se barre souvent au bout d’une heure, pas que ça à foutre de s’occuper des patients, d’ailleurs il est là pour jouer son rôle universitaire d’enseignant, pas pour faire la basse besogne de soigner les gens. Pouah. On laisse ça aux internes et autres médecins. 


C’est donc ainsi que je me suis retrouvé à passer de chambres en chambres, avec le troupeau d’une 15aine de personnes en blouses blanches, à suivre la visite. Je vous laisse imaginer le truc depuis le lit d’un patient. Vous êtes dans une chambre, vous regardez Motus (tout le monde regarde Motus pendant les visites, ne me demandez pas pourquoi) quand tout à coup, sans même entendre un quelconque toc toc, hop, “Bonjour Mme Truc” et en 5 sec. vous avez 15 paires d’yeux autour de votre lit. Tous en blouse blanche. Ils font comme une muraille autour de vous. Et un vieux Monsieur qui demande “qui me parle de cette patiente ?”. Et la gentille interne que vous voyez tous les matins qui lui explique dans des termes ultra technique ce que vous avez. Vous ne comprenez rien de ce qu’ils disent, mais c’est des mots compliqués. Et les mots compliqués ça fait peur. Ça a l’air grave. Puis aussi vite qu’ils sont arrivés, sans même vous parler, hop, tout le monde part et on se retrouve seul dans le silence, avec juste la voix de Thierry Beccaro et le jingle de Motus. Ho si, parfois ils demandent “Vous avez mangé hier ?” ou “Vous avez fait caca ?”. Deux questions que l’infirmière se charge généralement de répondre à votre place pour montrer au Monsieur qu’elle existe dans le troupeau.


Parfois, le chef de service pose une question de sémiologie ou de physiologie à l’attention des externes. Et là, quand on est externe, on regarde ses pieds, on se glisse derrière le collègue rondouillard pour ne pas se faire remarquer, on relit ses notes. Et il désigne d’un doigt accusateur une personne au hasard, en le nommant “toi !”. Oui, le chef de service mandarin sait à peine le prénom de ses internes, alors celui des externes, faut pas trop lui en demander. Et là si la réponse est mauvaise, il humilie sur place l’externe. Avec des très gros yeux. Il le crucifie. 


Ha oui, le gros con de mandarin fait rarement ce sketch avec les filles. Ou alors c’est des questions faciles. Oui, le gros con de mandarin aime bien toutes ces jeunes femmes qui passent années après années dans son service et qui pourraient être leur fille. Il est toujours sympa avec elles, on se demande bien pourquoi. 


Bref, je vais vous raconter une fois qui m’a particulièrement choqué. Mais je  vous rassure, cela n'a rien à voir avec cette tendance DSKesque.


On entre donc ce jour-là en troupeau, toc toc, dans une chambre double. Pardon, on se déverse dans une chambre calme, comme une rame de métro s’ouvre aux heures de pointes, en vomissant ses passagers sur le quai.  Les patients, qui regardent Motus, se voient couper le son ni une ni deux par un externe qui choppe la télécommande et mute Thierry. Pour la patiente dont on ne s'occupe pas, il reste l’image. Pour l’autre, c’est rapidement devenu un calvaire. Dès l’évocation de la maladie lors du tableau présenté par l’interne (sans même parler à la patiente), le chef de service attrape le drap et le jette au pied du lit. La patiente, 40 kilos toute mouillée, âgée, est totalement déboussolée et désorientée. Elle est en plus quasiment à poil, car son pyjama est mal fermé. Vous savez, ce sont plus des blouses qu’on ferme par l’arrière que des vrais pyjamas. Et là, sans regarder la patiente, les mains dans les poches, le chef s’est mis à parler de sémiologie. Oui, le chef ne touche jamais les patients, je l’ai déjà dit : il est là dans son rôle universitaire, pour justifier le “PU” de PU-PH. Pas pour soigner. La discussion s’est éternisée, et la patiente grelottait. Elle était vraiment en panique, je le voyais à ses yeux. Il a fait son sketch de la question à 100 balles, fait son petit cours, au pied d’une patiente âgée à poil, sans même porter attention à la personne. Et même en parlant de la patiente comme une maladie. Oui, il ne parlait pas de Mme Truc, mais de “cette trucopathie”. A vrai dire je sais même plus de quelle maladie c'était. Mais il réduisait le patient à une simple maladie, sans même respecter un corps décharné qui n’avait d’intérêt que pour briller devant le troupeau en blouse blanche. 


Lorsque le troupeau s’est barré, j'ai remarqué que personne n'avait remis le drap. Il était toujours au pied de la patiente. Je suis resté seul avec elle. La porte s’est refermée. J’ai remis le pyjama en place et le drap sur la patiente, en la rassurant, et en la bordant. C'était même pas ma patiente, c'était celle d'un autre externe. Ce connard était plus préoccupé à se faire bien voir en suivant comme un bon toutou la visite, que de s'occuper de sa patiente. Elle était toujours tétanisée. Et moi la chambre d’après c’était mon patient, je devais vite rejoindre le troupeau. J’ai remis le son à Motus et je suis parti comme un voleur, et même un peu coupable de partir ainsi. 

Et oui, ils étaient déjà dans la chambre suivante, et je me suis fait engueuler car j’avais le dossier dans les mains et mis tout le monde en retard, et j’ai pris cher à la question à la con de médecine ultra spécialisée qui m’est forcément tombée dessus. Car j’avais osé retarder la visite du chef. 


Ce jour là j’ai compris que jamais ne ne travaillerai dans un hôpital et je me suis mis à haïr ces gros cons de chef de service d’un autre siècle.

Parce que pour travailler dans un service, il faut lécher les bottes de ces gens-là. Sinon on fait une croix sur sa carrière.


Ho, fort heureusement ce n’est pas une généralité. J’ai croisé des services très bien. Mais cette histoire, je peux vous assurer que de très nombreux étudiants en ont été témoins dans des versions plus ou moins équivalentes. On a tous connu au moins une fois ce gros con de chef de service quasi caricatural.


Et si tu me lis, gros con, sache que tu es, toi et ta caste nauséabonde et toxique pour les hôpitaux et l’enseignement en général, à l’origine du dégoût de nombreux médecins à travailler dans le service public. 





Cette histoire à été publiée à l'adresse suivante :
https://twitter.com/DocPepper_FR/status/1566170052637990914

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